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Cours d’eau Trop de cartes en présence

La coexistence de différents inventaires des points d’eau pour la police de l’eau, les ZNT et les BCAE rend la réglementation illisible et trop disparate.

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La loi biodiversité de 2016 a doté les cours d’eau d’une définition. Des inventaires départementaux ont été lancés dans la foulée pour distinguer les cours d’eau des fossés. Dans un monde idéal, ces chantiers auraient abouti à des cartes claires ne reprenant que les linéaires réunissant les critères légaux. Exit les fossés classés à tort comme cours d’eau ! Dans un monde encore plus idéal, cet inventaire, qui fait foi pour la police de l’eau, servirait aussi de référence pour les BCAE (mise en place de bandes tampons) et pour le respect de zones non traitées (ZNT). C’est rarement le cas…

« Des inventaires sont presque finis, mais une dizaine de départements restent à la traîne », note Éric Thirouin, référent environnement à la FNSEA. Dans son département d’Eure-et-Loir, où plus de 90 % du linéaire est cartographié, il ne voit « rien à redire : l’administration, la profession et les ONG ont expertisé ensemble linéaire par linéaire, en allant sur le terrain. On était d’accord 98 % du temps, sinon l’administration jouait l’arbitre. »

Même approche concertée dans le Haut-Rhin, où « nous avons différencié les cours d’eau au sens strict des fossés “à enjeux particuliers” qui sont toujours en eau au printemps », explique Michel Busch, directeur de la FDSEA. L’inventaire porte sur « tous les écoulements susceptibles de recueillir l’eau de traitement sortant d’un pulvérisateur ». Le syndicat associé aux JA en discute depuis 2016 avec la DDT, l’association Alsace Nature et l’Onema. « Les deux premiers sont pragmatiques. L’Onema a une attitude un peu plus restrictive. »

Visites de terrain

Les agriculteurs ont été consultés sur le classement des écoulements d’eau de leur commune répertoriés sur les cartes IGN. Les désaccords sont réglés par des visites de terrain. « Nos interlocuteurs ont constaté que nos positions étaient cohérentes », affirme Michel Busch. L’objectif est de terminer à l’automne la classification des 3 000 km identifiés.

En Charente aussi, le chantier est très avancé. « À mesure que les services de l’État progressent, on met la cartographie en ligne, explique Frank Olivier, élu Coordination rurale à la chambre d’agriculture. Si un agriculteur veut la contester, il contacte la chambre qui organise une visite de terrain avec la DDT. » L’Agence française de la biodiversité apporte parfois son expertise. Si besoin, un second rendez-vous est fixé. « On a eu 200 mm d’eau en janvier, il y avait des rivières partout ! Dans ce cas, on revient en juillet… »

En Haute-Garonne, FDSEA et JA ont travaillé seuls. Ils ont rendu leur carte, et pour chaque demande de déclassement d’un cours d’eau, un agent de la DDT s’est rendu sur place. Plus de 900 cours d’eau ont été déclassés. Dans la Loire, en revanche, « le gros travail réalisé par la FDSEA n’a pas servi à la DDT, qui n’a pas le temps de mettre à jour les cartes », se désole Stéphane Joandel, président de la fédération locale. Des milliers de kilomètres gardent le statut flou de « cours d’eau par défaut ».

La prochaine étape serait de fusionner les différentes cartes de cours d’eau. Hélas ! « Dans certains départements, la carte BCAE est très différente de la nouvelle carte des cours d’eau issue de la loi biodiversité », constate Éric Thirouin. Quant à la réglementation sur les ZNT, elle peut se baser sur ces listes de cours d’eau ou pas. Dans le Haut-Rhin, c’est bien la nouvelle carte qui sera la référence pour tout traitement, une fois validée par le préfet. « Il n’y a pas de raison d’appliquer une ZNT là où il n’y a pas d’eau 95 % du temps », justifie la FDSEA. Un cas idéal… Mais pas général !

« L’État a laissé trop de marge de manœuvre aux préfets », dénoncent en même temps la FNSEA et France Nature Environnement (FNE). Les préfets ont désigné par arrêté, l’été dernier, les points d’eau sur lesquels s’appliquent les ZNT. Ils pouvaient retenir les cours d’eau selon leur nouvelle définition, et/ou les cours d’eau BCAE, mais aussi tous les éléments hydrographiques répertoriés dans les cartes IGN au 25 000e… Et même des éléments n’y figurant pas.

En Vendée, la FDSEA est satisfaite : « Le travail d’inventaire réalisé avec les maires et les associations a donné une carte que nous avons fait remonter au préfet afin de devenir la référence pour les ZNT », explique son président Brice Guyau. Résultat : un arrêté qui limite l’application des ZNT à la nouvelle carte des cours d’eau, consultable en ligne. S’y ajoute une interdiction de traiter à 5 m des plans d’eau, puits et forages, et à 1 m des avaloirs, caniveaux et bouches d’égout. Les fossés ne sont pas cités. Au grand dam de FNE qui invoque le « principe de non-régression » du droit de l’environnement, inscrit dans la loi biodiversité. Car l’arrêté précédent, en Vendée, imposait une ZNT pour tous les points d’eau (dont fossés) figurant sur les cartes IGN, et une distance d’un mètre près des fossés n’y figurant pas.

À part une poignée de départements, FNE juge la régression générale. « On perd 43 % du linéaire protégé en Indre-et-Loire et 1 500 km sur les 9 000 km de la carte IGN du Maine-et-Loire », illustre Benjamin Hogommat, juriste chez FNE. Son réseau a attaqué plusieurs arrêtés (lire encadré p. 16), même ceux déjà jugés trop stricts par la profession.

Cartes à corriger

C’est le cas en Tarn-et-Garonne. Sur 6 270 km de cours d’eau répertoriés sur les cartes IGN, 4 455 km sont classés BCAE, soit 71 %. « C’est beaucoup, remarque Jérôme Issanchou, directeur de la FDSEA. D’autres départements sont autour de 40 %. Ici, chaque cuvette donne lieu à un tracé en pointillé et certains cours d’eau devenus souterrains apparaissent encore sur les cartes. » Afin de vérifier si les critères définissant les cours d’eau étaient bien réunis, les agriculteurs ont réalisé un énorme travail de cartographie.

« Cela a duré six mois, fin 2016-début 2017, explique Alain Iches, président de la FDSEA. L’administration n’avait pas le temps d’aller sur le terrain et nous avait demandé de lui proposer quelque chose. Nous avons rendu une carte réaliste sans exagérer les demandes de déclassement de points d’eau. Mais la DDT n’en a pas tenu compte. Elle a préféré reprendre la carte BCAE qui nous est défavorable. »

La DDT considère, elle, qu’elle aurait pu intégrer 306 km d’écoulements intermittents répertoriés par la police de l’eau, ainsi que les étangs et plans d’eau de moins de 10 ha. Or elle indique que « dans le contexte de tension avec la profession agricole, le projet prévoit de s’en tenir au maintien de la définition actuelle des points d’eau ». Ainsi, selon FNE, 30 % du linéaire et l’ensemble des points d’eau de moins de 10 ha perdent leur protection.

Certains agriculteurs ont le sentiment que la réglementation se durcit, parce qu’elle était méconnue. « Beaucoup pensaient que les ZNT ne s’appliquaient qu’aux cours d’eau BCAE, constate une conseillère de chambre d’agriculture. Or les arrêtés ZNT vont souvent au-delà ! Du coup, la réglementation ZNT n’est clairement pas respectée, par méconnaissance ! »

Ainsi, en Charente, la nouvelle carte des cours d’eau n’apporte de clarté que vis-à-vis de la police de l’eau. Les ZNT, elles, s’appliquent à la fois à cette nouvelle carte et aux cours d’eau BCAE (les deux devant fusionner en 2019), mais aussi au moindre point d’eau figurant sur une carte IGN… Idem dans la Loire, où rares sont les agriculteurs qui savent qu’ils doivent respecter 5 à 50 m de ZNT le long d’un fossé à sec ! « L’année sera compliquée car ces réglementations sont mal connues », prévoit la FDSEA.

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